Agde - Carnet noir : Jo Vilamosa vient de nous quitter.

Agde - Carnet noir : Jo Vilamosa vient de nous quitter.

Agde - Carnet noir : Jo Vilamosa vient de nous quitter.

Par Christian Camps, président de l’Association pour la Mémoire du Camp d’Agde, le 22 Avril 2024

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De Barcelone à Agde, Un incontestable exemple d’intégration réussie : Jo Vilamosa (1927-2024) vient de nous quitter.

Joseph Vilamosa est né à Barcelone en août 1927.

Le 24 janvier 1939, orphelin, Jo quitte sa ville natale, à l’âge de 11 ans, en compagnie de sa grand-mère, de sa tante, de son frère, de sa sœur et de ses cousins en direction de la France. Ils marchent à travers la montagne, après avoir abandonné leurs fardeaux, pendant 4 à 5 jours, souvent sous la pluie glacée, dormant à même le sol gelé, taraudés par la faim. Leur seule nourriture qu’ils ont emportée comprend des boîtes de lait concentré et du riz cru qu’ils font bouillir lorsqu’ils trouvent une grange. Ils se cachent souvent sous les arbres, par peur de l’aviation. Quand ils arrivent en France, trempés, couverts de poux, les gendarmes les conduisent à Port-Vendres, où ils sont lavés, désinfectés et vaccinés. De là partent des trains qui envoient les réfugiés vers différents points de la France. Pour eux, la destination sera Villefranche-de-Rouergue et plus précisément Martiel.  

Paul Ramadier, député-maire de Decazeville, accepte d’accueillir des réfugiés espagnols, car il y a du travail dans sa ville. C’est ainsi que, début septembre 1939, Pepito Vilamosa va quitter Martiel et devenir decazevillois. Le jeune Pepito est scolarisé à l’école communale, d’octobre à Pâques, il parle le catalan et l’espagnol et, pour lui, le français est une langue étrangère, mais il redouble d’efforts et apprend notre langue rapidement. Dès l’arrivée de la bonne saison, en 1940, il est loué à Maleville, près de Villefranche-de-Rouergue, pour garder le bétail. Il n’avait jamais vu de vache. Aucune aide, il faut travailler pour ne pas mourir de faim. Lui-même n’est pas payé, mais on donne du ravitaillement à sa famille. Sa tante ramasse des ordures, sa grand-mère déjà âgée doit laver le linge. De 1941 à 1942, il est loué comme garçon de ferme près de Rodez puis aux alentours d’Aurillac. En 1943, il travaille 10 h par jour et trois dimanches par mois comme manœuvre et terrassier pour une entreprise de construction. En 1946, il est embauché aux Houillères de Decazeville à la carbonisation. Il est rapidement promu machiniste, ce qui lui vaut des insultes de la part de certains collègues qui le traitent d’Espagnol de merde et de macaque.

Une école de musique municipale est créée à Decazeville. M. Robin, le chef de musique, lui propose d’intégrer cette école, où il commence à apprendre le solfège et le saxophone. En 1947, il intègre la Lyre decazevilloise comme premier saxo alto. Il participe à des concerts à Decazeville et ailleurs lors des fêtes votives. Il est aussi musicien dans des orchestres de danse. C’est en jouant dans les bals qu’il connaît en 1954 Céline, qui deviendra son épouse l’année suivante et avec qui il aura une fille, Babeth, née à Decazeville en 1957.

En 1947, M. Andrieu ouvre un magasin d’optique. Pepito deviendra son apprenti, ce qui ne manquera pas de susciter des jalousies. Il aura la possibilité de suivre des cours par correspondance dispensés par l’école d’optique de Toulouse. Pendant 22 ans, il sera le premier employé du magasin et, en 1952, il obtiendra son diplôme d’optique et d’acoustique.

Dans les années 1960, il est naturalisé français, grâce à l’intervention de Robert Fabre, député de l’Aveyron.

Le 15 septembre 1969, il ouvrira le premier magasin d’optique-acoustique à Agde.  Jo Vilamosa est un exemple éloquent de l’intégration réussie. Lui, le jeune Espagnol, pétri de qualités et ne rechignant pas à l’effort, a pu bénéficier de l’ascenseur social grâce à l’altruisme de quelques Decazevillois, et tout particulièrement du maire de l’époque, Paul Ramadier,  et de M. Andrieu, qui lui a appris le métier d’opticien. De garçon de ferme puis employé aux Houillères, il est devenu apprenti-opticien à Decazeville puis opticien à Agde pendant 25 ans.

Dans cette vie bien remplie et réussie, Jo Vilamosa n’a jamais oublié le petit Barcelonais perdu au milieu des réfugiés qu’il a été et la misère qu’il a côtoyée. En 1987, des responsables officiels français et espagnols le sollicitent pour témoigner de son histoire, de son intégration exemplaire et effectuer un travail mémoriel. En personne qui sait que sans mémoire l’homme est sans avenir, il  dédie sa vie à la transmission de la mémoire de la guerre d’Espagne et de la Retirada. Grand collectionneur, il possède un nombre incalculable de documents, et il est incontournable pour tous ceux qui s’intéressent à cette période. Que ce soit en France,  en Espagne, ou ailleurs,  il n’y a pas une exposition, un colloque ou une publication sur ce thème sans qu’il soit sollicité.  Malgré son âge et sa santé déficiente, Jo reçoit tous ceux qui viennent le voir et intervient dans les colloques, manifestations ou réunions qui traitent de la Retirada ainsi que dans les établissements scolaires. En mars 2019, lors de la semaine internationale que nous avons organisée à Agde sur l’exil républicain espagnol pour commémorer les 80 ans de la Retirada, une journaliste de l’Agence France Presse l’a interviewé et elle a été surprise de sa mémoire sur cette période douloureuse de son existence.

Membre du Comité local d’histoire, il a été à la base de l’érection du monument du camp d’Agde, pour rappeler les 50 ans de la création du camp. Après le décès du fondateur du Comité local d’histoire, Pierre Lattes, les autres membres, dont Jo Vilamosa, Georges Cléophas et Jean-Claude Mothes, décident de continuer leur travail de recherche et de collectage. Comme le Comité local d’histoire n’avait pas d’existence légale, ils décident en 2011 de fonder une association dont les objectifs étaient de maintenir vivant le souvenir du camp, d’informer les jeunes du devoir de mémoire et les populations de ce pan d’histoire de notre ville. C’est en janvier 2012, sous l’impulsion de Virginie Gascon et de Mireille Rosello, qu’a eu lieu la première réunion. D’autres personnes se sont jointes au groupe et sont devenues membres fondateurs de l’AMCA, Association pour la Mémoire du Camp d’Agde, qui a vu le jour le 28 février 2012 et a été inscrite au Journal Officiel le 1er juin de la même année. Jo Vilamosa était notre mémoire vivante.

Il se réjouissait qu’un mémorial du camp d’Agde voie le jour au rez-de-chaussée de l’ancienne école de Notre-Dame, place Gambetta ; chaque fois que j’allais le voir, il me posait la question : « Alors, où ça en est ? » Je lui répondais inlassablement : « C’est sur les rails ». Mais il était conscient que son âge et sa maladie ne lui permettraient pas d’assister à sa réalisation. Le destin a décidé pour lui. Il nous a quittés le 18 avril 2024, il allait avoir 97 ans en août prochain et il ne verra malheureusement pas le Mémorial.

Ci-dessous Jo Vilamosa aux côtés de Georges Cléophas.

Agde - Carnet noir : Jo Vilamosa vient de nous quitter.

Christian Camps, président de l’Association pour la Mémoire du Camp d’Agde (22-04-24)

 

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